La lettre

Publié le 26 Février 2012

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Je suis une lettre d'amour. Ne me jette pas dans les toilettes. Ne va pas me brûler, rageusement. Je ne suis qu'un reflet, le reflet d'un instant. De quelqu'un qui s'épanche à la lueur d'une lampe de bureau, ou à la lumière du jour.

On m'a écrit à l'ombre d'un rocher, près du soleil enflammé ou bien dans l'intimité secrète d'une chambre, je ne me souviens plus.

Qu'importe mes mots. Tu les lis et les relis, cherchant autre chose, mais il n'y a qu'eux. Tu cherches les yeux de la personne aimée, mais tu ne la verras pas ici. Regarde plutôt une photo. Celle que tu admires et que tu vas sans cesse regarder, compulsivement, comme un drogué. Même si je sais qu'elle te déçoit car la personne qui s'y trouve a toujours le même regard immobile, le même sourire fixe. Et puis tu n'entends pas sa voix. Alors que dans mes mots, à les lire, reviennent à ton oreille de temps en temps son timbre, le ton susurré, parfois sensuel, parfois cruel. C'est cette voix que tu aimes. Pas les mots qu'elle dit, ces mots employés par tout le monde, capital commun à tous ceux – ou presque – qui emploient cette langue. Tu as beau dire "ses mots". Mais aucun ne lui appartient en propre. C'est pourquoi je dis "mes mots ». Tu sais.

Tu m'imagines jaillie, comme un coup de semonce, de sa main, fiévreuse, les yeux mouillés. Tu sais qu'elle m'a sortie d'elle d'un seul élan expiatoire, pour se libérer une fois pour toutes. Est-ce que je suis née pour te parler ou parler à elle… ? Née ou expulsée comme on se libère d'un mal tenace, ou des douleurs de l'enfantement ?

Amour, espoir, attente, tu ne trouveras aucun de ces mots sur moi. Seulement : croyais, plus, mieux, ne sais…  Et c'est pourquoi tu cherches à lire entre mes lignes, à comprendre, à en apprendre plus, à savoir plus ; seulement, entre mes lignes il n'y a rien que du papier blanc immaculé, un espace vide qui te fait peur, une peur qui te prend comme un vertige, te fait secrètement vaciller. Alors tu te raccroches à ces mots, ces lettres, ces ambages, et tu les relies à elle. Une écriture nerveuse, bouclée, l'encre qui a bavé, a séché. Ces petites pattes arrondies, menues.

Alors tu essaies de jouer au graphologue. Mais en fin de compte cette écriture ne t'apprend rien de plus. Tu ne comprends pas. Pourquoi a-t-elle écrit cela. Tu retournes la feuille, c'est une feuille banale, d'un format banal. Tu portes la feuille à ton visage, mais tu ne sens que le papier. Tu avais espéré… son parfum… l'odeur de ses larmes peut-être. L'amour n'a pas d'odeur ; ni la douleur.

Tu finis par me poser sur une table ou un bureau qui sent le vieux bois qu'on a cent fois ciré, tu m'abandonnes là, un instant, une heure, jusqu'à la fin de la journée. Puis sans même y réfléchir tu me jetteras dans un tiroir sous une pile de papiers sans importance. Là, cachée, je resterai.

Tu sais que je serai la seule chose qui te relie à elle.

Mais tu espères que demain, ou après-demain ou plus tard encore, tu en recevras une autre, maintenant ce mince cordon, retardant sa coupure.

Alors un jour, demain peut-être, ou dans plusieurs mois, tu me reprendras et me reliras d'un bout à l'autre et peut-être plusieurs fois de suite, t'attardant sur un mot, une phrase qui s'étaient éclipsés la première fois, croyant découvrir encore autre chose.

En fait je serai le maigre témoin de ta solitude.

 

 

Rédigé par Christophe Le Ham

Publié dans #poésie

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Commenter cet article
L
<br /> Je crois te comprendre maintenant, tu reviens sur un passé loin alors que je fonctionne toujours sur le présent dans une fulgurance que je ne peux taire dans la semaine qui suit, c'est notre<br /> différence. Je suis la pulsion et toi le vin qui macère dans son tonneau, nous voilà vin et eau pétillante :-)<br />
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L
<br /> une lettre d'amour est une trame que l'on creuse cherchant dans tous ses fils ce que l'on voudrait y trouver, d'une lettre d'amour le cerveau perd son objectivité et y voit les semences de son<br /> imagination.<br />
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C
<br /> <br /> En fait, ce texte écrit il y a environ 15 ans (et retravaillé un peu depuis) est autobiographique ; il part d'un souvenir de jeunesse, mais j'ai un peu trahi le souvenir : car qu'était casiment<br /> une lettre de rupture (ou d'explications, de jusitification). L'idée m'en est venue 10 ans après les "faits" en écoutant la chanson de Paolo Conte de l'album qui venait de sortir : "Don't throw<br /> it in the W.C."   <br /> <br /> <br /> <br />